lundi 30 mai 2011

Un printemps d’espoirs, une source d’incertitudes ?

Le vent de révolte et de contestation qui souffle en Afrique depuis plus d’un trimestre alimente les conversations à intérieur comme à l’extérieur du continent. La Tunisie, l’Egypte, la Lybie, pour le Maghreb, mais aussi la Côte d’Ivoire sont secoués par ce vent.  Au-delà de ce qui se dit dans les grands médias internationaux, l’Agence DIA a voulu savoir si ces événements sont porteurs d’espoirs ou sources d’incertitudes non seulement pour ces pays, mais aussi pour tout le continent africain. Nous en parlons avec le Professeur Kä Mana de l’Université Evangélique du Cameroun qui fait son analyse de la situation. 


Que s’est-il réellement passé en Tunisie, en Egypte, en Lybie et en Côte d’Ivoire ?
Si je pose ici la question : « que s’est-il réellement passé en Tunisie, en Egypte, en Lybie et en Côte d’ivoire ? », ce n’est pas parce que je ne suis pas suffisamment informé sur les événements qui ont ébranlé ou qui ébranlent encore ces pays en ce moment même. Je veux seulement me demander si ces événements se réduisent à ce que les radios, les télévisions et les grands journaux internationaux en disent ou s’il y a lieu de regarder un peu plus à fond leur signification pour les comprendre au-delà de l’écume des jours.
Comme tout le monde, je suis au courant des grilles politiques qui ont servi à décrypter les tempêtes et les ouragans sociopolitiques de ces derniers mois au Maghreb et en Côte d’Ivoire. Je sais qu’en Tunisie comme en Egypte, les peuples ont été poussés à bout par la chape deplomb de la dictature et qu’ils en ont eu marre, si l’on peut ainsi parler, d’être niés dans leurs droits et dans leurs pouvoirs essentiels par des Chefs sans conscience. Des potentats que n’ont ébranlés ni l’usure de leur longévité à la tête de leurs pays, ni le décalage de plus en plus gigantesque entre les aspirations des nouvelles générations et les intérêts des classes dirigeantes. Je sais qu’en Côte d’Ivoire l’autisme politique du Chef, son enfermement dans les ruses politiciennes et sa soif de régner envers et contre tout ont eu raison de son propre régime. Un régime tout d’un coup confronté à une détermination inattendue de la part de ses adversaires internes et de ce que l’on appelle aujourd’hui la communauté internationale. Je sais qu’en Libye l’insurrection militaire secoue les fondements d’un règne de plus de quarante ans au nom d’une certaine idée des droits humains.
Je n’ignore pas qu’à côté de ces clés de compréhension s’ajoutent, à tort ou à raison, les vieilles rengaines africaines contre l’impérialisme ainsi que les jérémiades habituelles sur le complot international contre le continent noir.
Du point de vue économique, j’ai vu dans les débats intellectuels africains, resurgir les théories sur l’Occident qui ne croit qu’en ses propres intérêts et qui est prêt à tout pour détruire tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, s’érigent en obstacles sur son chemin. Laurent Gbabgo et Mouammar Al-Kadhafi seraient ainsi victimes de la voracité et de la prédation des forces occidentales de l’ombre. Moubarak et Ben-Ali n’auraient plus été de ce point de vue des garanties sûres dans la volonté américano-européenne de configurer le Grand Moyen-Orient selon les attentes des « Maîtres du monde ». Selon cette perspective toujours, la révolution des jasmins et le printemps égyptien, tout comme la fournaise ivoirienne et la géhenne libyenne, auraient été un enfer forgé par des intelligences diaboliques des grandes forces occidentales des ténèbres, au profit des conglomérats mondiaux avides de pétrole et d’autres richesses africaines qui attirent toutes les convoitises.
On serait ainsi, en fait, dans une nouvelle stratégie géopolitique qui plongera l’Afrique dans un nouveau colonialisme, un règne implacable d’une mondialisation sans possibilité de libération pour les peuples dominés. Avec une telle grille géostratégique d’interprétation des événements, on ne voit dans les nouveaux pouvoirs qui s’installent ou qui vont s’installer en Afrique que des marionnettes du néo-libéralisme féroce, le triomphe d’un ordre cannibale, pour reprendre à dessein une expression de Jacques Attali.
Je suis aussi sensible aux arguments des Africains qui en ont assez de voir l’Afrique pointer toujours son doigt accusateur vers l’Occident alors que c’est elle-même qui entretient ses dictatures, qui affame ses populations dans des tyrannies atroces, qui s’abîme dans une mal-gouvernance chronique et qui se déchire dans des barbaries dont sa société est entièrement responsable. N’y a-t-il pas une culture de la tyrannie et de la cruauté qui embrase le continent africain et que l’on veut masquer en recourant à des théories faciles de victimisation de soi et d’exaltation publique du complot mondial contre les pays africains ? Cette question revient constamment dans les débats intellectuels et constituent l’une des grilles aujourd’hui utilisées pour mettre l’Afrique devant ses propres responsabilités et devant les impératifs de construction de son propre futur. Un futur de paix, de prospérité, de démocratie et de liberté clairement assumée.
Sous le poids de tous ces arguments politiques, économiques, géostratégiques ou culturalo-idéologiques, je suis aujourd’hui un peu perplexe. Je ne me sens pas capable d’opérer des pondérations subtiles qui feraient voir clairement qui a tort et qui a raison, qui voit plus ou moins juste ou qui se fourvoie dans des demi-vérités et des demi-mensonges, qui cèdent aux passions partisanes ou qui ne se laissent conduire que par le souci de voir et de dire le vrai.
Face à cette perplexité, je cherche pour mon propre compte à savoir s’il n’y a pas une grille de lecture et d’intelligibilité des événements qui puisse nous faire saisir et comprendre quelque chose de plus fondamental pour l’humanité que les enjeux politiques, économiques, géostratégiques, culturels et idéologiques où s’affrontent tant de passions orageuses et tant de cruautés absurdes. Je pense qu’une telle grille ne peut être que celle qui nous permettrait de répondre aux questions suivantes :
- Quelle signification essentielle les événements comme ceux de Côte d’Ivoire, de Libye, d’Egypte et de Tunisie, comportent-ils pour changer profondément et positivement la situation de l’humanité ?
- A quelle nouvelle idée de l’humanité et de son destin sommes-nous appelés à accéder quand nous regardons le monde tel qu’il est dans son terreau de barbaries et de désespoirs ?- Que devons-nous faire pour que les énergies d’espérances qui luttent contre les pouvoirs du mal dans le monde puissent configurer l’avenir du monde de manière irréversible ?
Nous sommes là devant des questions d’éthique fondamentale et du développement de l’esprit, des questions qui interpellent les consciences sur les finalités humaines de la politique, de l’économie, de la vie sociale et des valeurs de civilisation.
Je n’ai pas cessé de me poser ces questions depuis la révolution des jasmins, le printemps égyptien et les tragédies qui ont fait basculer la Côte d’Ivoire et la Lybie dans le règne des ravages et de la destruction.
L’humanité dans son ensemble et l’Afrique en particulier doivent enfanter une nouvelle idée d’humanité
Plus je me pose ces questions, plus il me semble que la lame de fond de tous les événements dramatiques que nous vivons est une immense interrogation pour que l’humanité dans son ensemble et l’Afrique en particulier enfantent une nouvelle idée d’humanité.
- Une idée d’humanité où le pouvoir politique ne puisse plus être un pouvoir de dictature, de tyrannie, d’autisme ravageur et d’esprit de domination au service d’un homme ou d’une caste.
- Une idée d’humanité où l’économie ne puisse plus être une jungle ou une arène, un monde que seul gouvernent les logiques du profit et des inégalités, une sphère du pillage des peuples par d’autres peuples, une aire des misères indicibles et des dénuements extrêmes causées par l’exploitation de l’homme par l’homme.
- Une idée d’humanité où les relations entre les hommes et les relations entre les peuples ou entre les pays ne puissent plus être dominées par les instincts de puissance, par les pulsions de violence, par le recours aux armes pour régler les conflits.- Une idée d’humanité où la culture dominante ne soit pas celle des égoïsmes agressifs, des calculs géostratégiques à court terme et de l’irresponsabilité face au futur de la planète et de la vie.
Au fond, quand on analyse ce que les événements qui ont ébranlé l’Afrique ces derniers mois ont de fondamental, on comprend que leur vrai sens est de nous mettre, nous Africains comme tous les peuples, devant les exigences essentielles en termes de valeurs de l’humain. Il faut une Afrique porteuse de ces valeurs. Il faut un monde irrigué par ces valeurs. Un autre monde possible, comme disent les altermondialistes de tous les horizons.
C’est à l’enfantement de ce monde que nous devons nous atteler, si nous comprenons qu’un nouvel esprit prend souffle en Afrique et que l’Esprit comme forme de changement de l’Histoire se manifeste maintenant comme une grande force pour la construction de l’humain dans les tragédies de l’histoire, comme aurait dit Hegel en son temps.
Nous sommes devant cette responsabilité historique pour penser et vivre l’humanité africaine, et l’humanité tout court, en termes d’exigences éthiques et de valeurs spirituelles sans lesquelles l’humain s’effritera dans les folies des hommes et dans les fureurs tragiques des peuples.
Une seule existence est donc devant nous : construisons l’humain, construisons le développement des peuples, construisons la paix sur la terre, construisons le bonheur dans l’inter-fécondation des civilisations, construisons une culture de l’amour, comme n’ont cessé de nous le dire les grandes voix éthiques et spirituelles de l’humanité.
C’est là la grande révolution de l’humanité. Cette vraie
 révolution, ce nouveau printemps du monde, est en nous comme une exigence et devant nous comme une espérance fertile. Nous avons encore le devoir de l’incarner dans de nouvelles forces d’action historique. Il convient que l’Afrique en prenne conscience.
 (Agence de presse D.I.A. www.dia-afrique.org )









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